Le 4 mai 2023, la metteuse en scène russe Jénia (Evguénia) Berkovitch et l’autrice dramatique russe Svetlana Petriïtchouk ont été arrêtées à Moscou. Elles ont été accusées de faire « l’apologie du terrorisme » dans leur spectacle Finist, fier faucon 1. Le 5 mai, elles ont été placées en détention provisoire pour deux mois. L’article 205, alinéa 2, du Code pénal de la Fédération de Russie (Appels publics à des activités terroristes, apologie du terrorisme ou propagande du terrorisme), sous le coup duquel elles sont tombées, prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans.

Par Nika Parkhomovskaïa, avec la complicité de Marie-Christine Autant-Mathieu

Tous ceux qui ont lu la pièce de Petriïtchouk, primée en 2022 au prestigieux festival national de théâtre Le Masque d’or, dans la catégorie « Meilleur travail dramaturgique », et qui ont vu le spectacle de Berkovitch (joué dans plusieurs grands festivals), sont tombés des nues. Pacifistes convaincues et défenseuses constantes des droits des femmes, Svetlana et Jénia, au contraire, racontent comment les terroristes trompent les jeunes femmes naïves et les épousent sur internet. En tant qu’artistes, elles ne s’intéressent pas aux conséquences, mais aux causes, et réfléchissent avant tout à ce qui pousse les femmes dans les bras de ceux qui leur semblent être des princes charmants, mais qui se révèlent être des criminels et des meurtriers.

Toutefois, certains spectateurs n’ont pas aimé cette approche réflexive du problème et ont lancé cette accusation calomnieuse, à un moment où le nombre croissant de dénonciations en Russie alertait les policiers eux-mêmes. La plainte, initialement rédigée en 2021, a été déposée au printemps 2023. Cette accusation a d’abord donné lieu à une expertise dite de destructurologie2, absurde et anti-scientifique, faite par une organisation non autorisée à mener des expertises pour le tribunal en Russie, puis elle a entraîné l’arrestation des autrices de la pièce et du spectacle. Pour la première fois dans l’histoire récente de la Russie, des artistes de théâtre sont jugées pour leur œuvre.

Cette action inique a soulevé une vague de protestation, en Russie et à l’étranger. De grandes figures théâtrales, des acteurs et des metteurs en scène, se sont portés garants des accusées mais malheureusement aucun d’entre eux n’a fait de déclaration médiatisée, aucun n’a annulé des représentations. Jénia et Svetlana sont soutenues par des gens ordinaires qui écrivent quotidiennement sur les réseaux sociaux et publient leurs lettres de prison (en faisant remarquer que la charge de travail du censeur en activité dans le centre de détention où se trouvent les deux artistes a considérablement augmenté). Les artistes russes qui ont émigré, les metteurs en scène du monde entier, en lisant Finist, fier faucon, attirent l’attention sur cette affaire et essaient de prouver que la pièce est incriminée à tort.

Alors qu’une vague de lectures spontanées s’organise rapidement à travers l’Europe, le texte  Finist, fier faucon a déjà été lu en Suède, en Ouzbékistan et au Kazakhstan ; cet été la pièce donnera lieu à des lectures en Grèce, République tchèque, Allemagne et France. En attendant, Jénia Berkovitch et Svetlana Petriïtchouk sont convoquées devant la justice le 4 juillet prochain.

En ce qui concerne la vidéo, la voici : Финист Ясный Сокол

Et la pièce (en russe) : По запросу «финист» мы нашли

1. La pièce, dont le titre renvoie à un conte russe, La Plume de Finist-Clair-Faucon, a été écrite en 2019. La compagnie Les filles SOSO l’a montée en 2020, sous la direction de Jénia Berkovitch, avec un subventionnement public partiel.

2. Cette nouvelle « science », née en 2018 à partir des travaux du professeur de la faculté de linguistique de Moscou, R. Silantiev, étudie les « formations destructrices » qui menacent le bien-être, la vie et la santé des personnes, parmi lesquelles les extrémismes religieux et le terrorisme.