Le 21 juillet 2022, dans le cadre des Rencontres d’été de la Chartreuse dont l’un des thèmes s’articulait autour de « L’urgence de l’hospitalité », la Maison Antoine Vitez avait eu l’occasion – et la chance – de converser, une heure et demie durant, en public, avec Marina Davydova, figure majeure de la critique théâtrale russe, metteuse en scène et programmatrice qui, depuis le mois de mars de la même année, errait à travers l’Europe à la recherche d’une ville où poursuivre ses activités et refaire sa vie.

Quelques mois plus tard, nous étions contactés par l’une de ses consœurs journalistes, Nika Parkhomovskaïa, qui elle aussi avait dû quitter précipitamment la Russie pour échapper à la censure et se mettre en sécurité ; observatrice attentive de la scène contemporaine de son pays, elle se proposait de nous présenter des auteurs et des autrices contraints, eux aussi, à l’exil. Leurs noms s’ajoutaient à tous ceux dont nous entendions parler par la presse et les réseaux sociaux, qu’ils soient contraints de s’exiler pour défendre leur liberté de parole, ou contraints à la prudence, voire à la ruse pour pouvoir continuer à s’exprimer à l’intérieur des frontières de la Russie et de ses pays satellites. Leurs noms s’ajoutaient à tous les auteurs et toutes les autrices qui, depuis une dizaine d’années, avaient fui la Syrie, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et dont la liste, c’est à craindre, n’est pas près de diminuer. Au fur et à mesure de nos échanges avec Nika, nous apprenions le sort réservé à Evguénia (Jénia) Berkovitch et Svetlana Petriïtchouk, respectivement metteuse en scène et autrice de Finist, Fier faucon, pièce lauréate, en 2022, du prix du Masque d’or, le plus prestigieux prix de théâtre russe jusqu’à la guerre – toutes les deux arrêtées pour « apologie du terrorisme ».

Puis, à la mi-mai, la condamnation, par contumace, d’Ivan Viripaev – installé en Pologne depuis quelques années – et du producteur Alexandre Rodnyanski, inscrits désormais sur la liste des personnes recherchées par le gouvernement russe pour leurs déclarations sur la guerre en Ukraine qui leur font encourir jusqu’à dix ans de réclusion.

La question de l’exil est intimement liée à la question de la langue lorsqu’on se retrouve dans un pays où, quotidiennement, on est confronté à un autre idiome que celui de sa naissance. La langue, et l’écriture, sont au cœur de nos réflexions, en tant que centre international de la traduction théâtrale. Nous avons donc voulu donner la parole à Nika Parkhomovkaïa pour qu’elle nous livre non seulement le fruit d’un entretien qu’elle a réalisé avec Marina Davydova l’hiver dernier, mais aussi ses propres réflexions, issues en partie de son expérience personnelle, ainsi que celles d’autrices et d’auteurs russes en exil, sur le sort de sa langue lorsqu’elle n’est plus celle qui se parle autour de soi. En cette époque où de plus en plus de langues sont contraintes à l’exil, ces articles sont à considérer comme les premiers jalons d’une série que la MAV entend consacrer à cette question cruciale : qu’est-ce qu’une langue de l’exil, une langue en exil ?

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